HomeINTERVIEWUn entretien avec Matthieu Ricard: l’altruisme comme vecteur d’une harmonie durable

Un entretien avec Matthieu Ricard: l’altruisme comme vecteur d’une harmonie durable

Un entretien avec Matthieu Ricard: l’altruisme comme vecteur d’une harmonie durable

MATTHIEURICARD

 Pour le moine bouddhiste Matthieu Ricard, la crise écologique, sociale et sociétale que nous traversons nous amène nécessairement à repenser une société plus harmonieuse. Pour y arriver Mathieu Ricard prône l’altruisme comme vecteur d’une harmonie durable. 

William Monlouis-Félicité. Harmonie durable versus développement durable…

Matthieu Ricard. Ah oui, Le développement durable, c’est très bien mais c’est souvent compris encore, malgré tout avec des gens qui ne peuvent pas s’empêcher de penser quantitativement. Or, c’est impossible de continuer de croître quantitativement par rapport à l’usage des ressources naturelles compte tenu de leur finitude, sauf par le renouvelable évidemment et 100% recyclables. Donc, c’est un peu suspect car les gens continuent à mettre dans ce mot développement durable ce côté quantitatif. Si on parlait d’harmonie durable, là ce serait différent car harmonie suggère une croissance qualitative, une meilleure qualité de vie, la simplicité volontaire, la simplicité heureuse, le partage…Ça joue sur tous les plans et dans le présent car on ne peut pas avoir une société harmonieuse dans une société très inégale. Il faut donc remédier à la pauvreté : Celle au sein de la richesse, au sein d’un pays et entre pays bien sûr, entre pays du nord et du sud avec des gens qui sont très pauvres, qui sont sans abri, etc. Donc, l’harmonie « ici et maintenant » remédie aux inégalités du temps présent. Et sur la durée, l’harmonie durable, signifie rester dans les limites, ne pas aller au-delà des limites planétaires de sécurité, définies par les spécialistes de l’environnement, ce qui permettrait à l’humanité de prospérer parce que le climat pourrait rester stable encore 50 000 ans… Donc, si vous voulez, c’est être en harmonie avec l’environnement de sorte que l’on ne détruise pas l’environnement qui soutient la vie.

WMF. Qu’elle définition donnez-vous de l’altruisme ?

MR. L’altruisme, c’est l’intention d’accomplir le bien d’autrui, ce qui n’exclue nullement de faire le nôtre ; mais on ne peut pas accomplir le nôtre au détriment du bien-être d’autrui. Ça c’est l’égoïsme. Donc c’est le double accomplissement en vérité qui va naître d’autrui et de soi-même. Et si l’autre souffre, c’est la compassion, le désir que les souffrances et ses causes soient éliminées

WMF. L’altruisme, c’est la courroie qui permettrait de changer de comportement vers cette harmonie durable ?…

MR. L’altruisme est le seul concept qui puisse motiver cela… L’altruisme souhaite réconcilier trois échelles de temps: le court terme de l’économie, le moyen terme de la qualité de vie, et le long terme de l’environnement. Il y a encore deux siècles, l’impact de l’homme sur l’environnement était négligeable et la Terre pouvait panser ses plaies elle-même. Aujourd’hui ce n’est plus le cas! Depuis 1950, l’impact de l’homme sur notre planète s’intensifie. Ce sont les générations futures qui en payeront le prix. Si vous vous en fichez des générations à venir, pourquoi voudriez-vous faire des efforts maintenant ? si vous calculez uniquement votre intérêt personnel, vous n’avez aucune raison de vous en occuper. C’est comme si il n’y avait pas de lendemains, vous n’allez pas mettre de l’argent de côté en gros… Sur un autre plan, ceci dit, comme on ne sera pas là, ce seront nos enfants et petits-enfants ; mais au-delà de la cinquième génération, cela devient très abstrait. Et donc, on peut difficilement avoir la moindre considération pour cela. Dans ce cas-là, on évacue le problème d’environnement parce que la plupart d’entre nous survivront dans trente prochaines années mais après on ne sera plus là.

WMF. L’altruisme ne serait pas inné ?

MR. A la fois, tout est inné, l’altruisme et l’égoïsme. Mais disons qu’en tant qu’animal social, les études montrent que les enfants sont plus favorables, plus disposés à la coopération altruiste que le contraire. Ils préfèrent les gens qui se comportent de manière altruiste que ceux qui se comportent de manière nuisible. Donc ça, c’est plus proche de ce qui est spontané chez l’enfant. Ça ne veut pas dire qu’on naît 100% altruiste, que c’est complètement dans nos gènes. Les deux sont là, mais c’est normal du point de vue d’un animal social, qu’on ait plus d’avantage dans cette idée de coopérer que de se tirer dans les pattes du matin au soir. Sinon on ne serait pas des animaux sociaux, on serait des prédateurs individuels.

WMF. Merci beaucoup.

William MONLOUIS-FELICITE –  au Positive Economy Forum – Le Havre

Bio Matthieu Ricard

  • Docteur en génétique cellulaire, Matthieu Ricard est, depuis 1979, moine bouddhiste tibétain, interprète français du Daïla Lama.
  • Auteur de nombreux livres, photographe, traducteur d’ouvrages spirituels tibétains, sa vie est à l’image de sa philosophie. Il reverse ses revenus à des projets humanitaires soutenus par l’association Karuna-Shechen, dont il est le fondateur.
  • Parmi ses ouvrages récents : Plaidoyer pour l’altruisme en 2013
  • Plaidoyer pour les animaux en 2014 et Vers une société altruiste en 2015.

Pour en savoir plus : http://karuna-shechen.org/fr/

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